Les pathologies de la corruption

LA CORRUPTION:
LA DENSITE DE NOTRE IDENTITE EN JEU

Symphorien Ntibagirirwa
Ethique & Société

Abstract :This editorial note attempts to frame the various articles published in this issue. It argues that, as a phenomenon which is as old as the human history and civilisation, corruption is characteristic of the human weak nature, or better, the fall, biblically speaking. As such, corruption deprives us of our ontological density as beings that aspire to what is good and right in so far as we are created in the image and resemblance of God. It puts a break to our sustained move to moral life as corrupt people tend to give priority to calculative rationality (which seeks short-term individual dividends) over comprehensive rationality open to sustainable results characteristic of the common good. It gives priority to individuality over sociality. This being the case, corruption is a universally evil phenomenon even in those societies where it is hardly observed or where it does not seem to have effects on the socio-political order and economic prosperity. It is within this framework that different analyses and reflections are introduced.

Les réflexions de ce volume 8/2012 seront toutes centrées sur le thème de la corruption. La corruption est un thème très présent dans les cercles académiques, médiatiques, activistes, et les milieux des décideurs à tous les niveaux. Pratiquement, aujourd’hui, la moralité d’un pays tend à être jugée sur base du degré de corruption. La moralité des gouvernements est appréciée sur base de la situation de la corruption. La crédibilité d’un leader ou d’une politique d’un pays est jugée en termes de sa capacité de contenir la corruption. La santé politique et économique d’un pays, est de plus en plus évaluée en termes du degré de corruption. Bref, la corruption est un des indicateurs importants dans l’évaluation du développement humain.

Cependant, il serait erroné de croire que la corruption est un problème récent ou de quelques sociétés dans une situation sociale, économique et politique particulière. Loin d’être un problème récent de quelques sociétés ou encore de quelques systèmes politiques, la corruption est un problème de tous les temps et de toutes les sociétés. En fait, l’histoire de la corruption remonte aussi loin que l’histoire de l’humanité elle-même. La pratique de la corruption et sa désapprobation comme vice se retrouve dans les civilisations les plus anciennes, telles que celle de Babylone, celle de l’Egypte, et de l’Inde entre autres. Ainsi, dans le Code d’Hammurabi qui date du 20ème siècle avant J.C., nous retrouvons des références à des pratiques de pourboire ou pots-de-vin et à leur punitions. Les mêmes pratiques se retrouvent dans l’Edicte de Harmhab, roi d’Egypte au 14ème siècle avant J.C; ou encore dans Arthasastra de Kautilya, à la même période.  Comme nous le verrons dans l’un des articles, les prophètes de l’Ancien Testament et Jésus dans le Nouveau Testament n’ont cessé de dénoncer la corruption comme un mal qui rongeait la société. La dynastie Ming du 14/16ème  siècle après J.C., décrite comme la plus ordonnée et la plus stable de l’histoire chinoise s’est vue rongée par le fléau de la corruption. Malgré l’abondance des lois anti-corruption, des pratiques de corruption étaient très répandues dans la principauté de Florence au 17ème siècle pour ne prendre que ce lieu de l’Occident.

Où voulons-nous en venir ? La corruption est l’un des aspects de la nature faible de l’être humain. Plus radicalement encore, elle fait partie du péché originel ou de la chute de l’être humain.  La caractéristique fondamentale de l’être humain est l’ordre de la raison. Certaines des marques de l’ordre de la raison sont la vie morale, l’aspiration consistante et la montée soutenue vers ce qui est bien. Si la corruption est un problème moral, c’est justement parce qu’elle dilue l’aspiration consistante et freine la montée soutenue vers ce qui est bon et bien. Le résultat en est que la société tombe dans la déraison. Les effets de la déraison sont le désordre moral, social, économique, et politique; l’appauvrissement des uns et l’enrichissement des autres,  ainsi que le détournement des valeurs pour légitimer le gain individuel et le renforcement d’un pouvoir matérialiste qui est loin de servir le bien commun. 

En parlant de la société, des individus qui la composent, et du bien commun, nous touchons un autre aspect de la nature humaine : l’être humain est un individu indépendant, mais pas un singleton.  L’être humain est fondamentalement et essentiellement social. L’individualité et la socialité de l’être humain sont des valeurs parce qu’elles sont ordonnées au bien et à l’accomplissement « de tout l’homme et de tout homme ». La corruption est un obstacle qui fait que cet objectif noble est en danger. L’individualité tombe dans l’égoïsme tandis que la socialité devient un moyen pour alimenter l’intérêt personnel. Les définitions les plus usitées de la corruption le montrent bien. La corruption est un abus. Abus de positions publiques à des fins d’enrichissement personnel  (Kauffmann 2005) ; abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées (Transparency International 2005), ou abus du pouvoir public pour un gain privé (USAID 2006 : 2).

Certains prétendent que la corruption a des effets différents d’une société à l’autre et ainsi parlent de l’exception asiatique. L’exception asiatique signifierait que la corruption est saine en Asie, en ce sens qu’elle n’a pas d’effets négatifs sur la prospérité économique et l’ordre sociopolitique observés ailleurs! Même si cela était le cas, la corruption reste toujours un mal moral à combattre. Il n’est pas permis d’exonérer un comportement caractéristique de la chute de l’homme. Nous ne pouvons pas cautionner ce qui nous prive de  la ressemblance et l’image de Dieu dans notre vie et, par conséquent, affecte notre densité ontologique d’être orienté vers le bien.

Dans son livre, Les syndromes de la corruption publié en 2005, Michael Johnston  soutient qu’il n’y a pas de régimes politiques plus immunitaires à la corruption que les autres. Ainsi, les démocraties dites matures ne sont pas libres de l’influence corruptive des marchés ; les démocraties qui sont en processus de se consolider ou de se réformer ne sont pas libres du jeu des cartels d’élites ; les régimes en transition vers la démocratie ont du mal à se défaire des jeux oligarchiques et claniques ; et les régimes dictatoriaux ou autocratiques sont toujours exposés aux jeux corruptibles des moghols officiels.     

Devant ce problème de la corruption, nous sommes peut-être tentés de nous lamenter comme le psalmiste. « Je lève les yeux vers les montagnes ! D’où le secours me viendra-t-il ? » Le salut est dans notre retour à la vie morale individuellement et comme communauté. Nous ne pouvons pas combattre la corruption sans nous engager à retrouver notre texture ontologique du muntu qui utilise sa raison, non pas pour calculer ses intérêts égoïstes, mais pour le bien commun. Les articles de ce numéro sont retenus sous le thème de « Pathologies de la corruption » et doivent être compris dans le cadre de cet éditorial.

Ainsi, dans L’anthropologie de la corruption : ses enjeux dans la société moderne, Benjamin Akotia tente de comprendre le phénomène de la corruption en le découvrant à travers ses ressorts anthropologiques. Il soutient que la corruption est l’effet du mauvais fonctionnement du principe fondateur d’un modèle particulier de société : la corruption est un mal social issue d’un usage erroné de la démocratie où la différence sociale est mise à mal. Ainsi, pour Akotia, la déclaration de la guerre contre la corruption n’est pas seulement un combat contre le mal mais aussi une résolution à ériger une société spécifique.

Dans De l’inturire à l’igiturire : l’impact de la culture sur la lutte contre la corruption au Burundi, Fidèle Ingiyimbere creuse profondément dans la culture burundaise pour montrer les racines de la corruption. Après avoir identifié ce qu’il considère comme les radicelles de la corruption, il développe l’argument que l’arsenal juridique et légal à lui seul ne réussira pas à courber le phénomène de la corruption au Burundi aussi longtemps que la politique des faveurs et des privilèges de type traditionnel a la priorité sur celle des devoirs et des droits.

Dans La conception de la corruption : mesurages, définitions et approches méthologiques, Corneille Ntamwenge exprime un besoin réel qu’il y a à comprendre la corruption et de la présenter dans ses différentes formes juridiquement et moralement reconnues. Il met en évidence les faiblesses des instruments de mesure de la corruption ainsi que les insuffisances des définitions souvent enregistrées comme canoniques. Il considère les indicateurs de perception de la corruption comme un appel pressant pour alerter sur les actes de corruption dans les organisations sociétales telles que l’Etat et les multinationales. Au point de vue méthodologique, il propose la transdisciplinarité. 

Dans Les prophètes dénoncent la corruption, Hervé Tremblay étudie la dénonciation prophétique de la corruption d’un point de vue chronologique. Il présente les textes majeurs des plus anciens prophètes au plus récents. Ensuite, il les compare aux lois du pentateuque afin de mettre en évidence un accord probable qui aurait guidé l’enseignement des prophètes. Il conclut qu’un tel accord existe si bien que la dénonciation de la corruption politique est consistante à travers les siècles dans la Bible.

Dans La chronique européenne, Ignace Berten revisite Vaclav Havel et son livre Le pouvoir de sans pouvoir, une œuvre essentiellement politique et pourtant fondamentalement morale et spirituelle. Il réalise que la vie et l’œuvre de Havel a quelque chose à nous apprendre dans notre société rongée par le totalitarisme consumériste que nous impose le néolibéralisme et dans notre Eglise tentée de voiler les grosses questions actuelles qui hantent les croyants d’aujourd’hui. Ainsi, il nous suggère à prendre très au sérieux cette conviction fondamentale de Havel: « La vérité et l’amour doivent l’emporter sur le mensonge et la haine.» C’est justement l’écart entre l’humanité sauvée et l’humanité corrompue.

Revue Ethique et Société
Fraternité St. Dominique
B.P : 2960 Bujumbura, Burundi

Tél: +257 22 22 6956
Cell: +250 78 639 5583; +257 79 944 690
e-mail : info@res.bi
site web: www.res.bi

 

Fraternité Saint Dominique de Bujumbura

Nous, Dominicains du Burundi sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de...

Lire la Suite

Couvent Saint Dominique de Kigali

Nous, Dominicains du Rwanda sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de

Lire la Suite